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RSE : Stratégieglobale ou posturecosmétique ?

La Responsabilité Sociétale des Entreprises ne fait plus débat. C’est une notion que les entreprises, déterminées à avoir un impact positif sur la société, connaissent bien et sur laquelle elles ont appris à communiquer. Mais comment évaluer la sincérité des entreprises en matière de RSE ? Quelle fiabilité accorder à leurs discours, leurs résultats extra-financiers et leurs professions de foi ?

Pauline Roulleau, ancienne analyste extra-financier (VIGEO), auditrice-consultante en RSE (EY), et fondatrice de l’agence de durabilité Ici & demain, nous livre quelques éléments de réponses.

Portées par leurs engagements en matière de développement durable et les enjeux de la lutte contre le réchauffement climatique, les entreprises sont nombreuses à dépasser le seul profit économique pour prendre leur part de responsabilité. Leur engagement est d’ailleurs attendu et surveillé par leurs parties prenantes : consommateurs, salariés, investisseurs, etc. 83% des consommateurs pensent par exemple que les entreprises devraient avoir de meilleures pratiques ESG, 86% des salariés préfèrent soutenir ou travailler pour des entreprises qui partagent leurs aspirations et 91% des chefs d’entreprise, eux-mêmes, estiment que leur entreprise a la responsabilité d’agir en matière d’ESG. La RSE fait donc partie du paysage. Le rapport mondial 2022 de WTW révèle que 90 % des entreprises des principaux marchés européens intègrent désormais des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans la rémunération variable des cadres. L’Europe est en tête en la matière.

 

Transparence RSE et fausses promesses : un jeu de dupes ?

Mais comment être certain que les ambitions affichées par les entreprises en matière de RSE soient alignées avec des pratiques effectivement plus durables et plus responsables ? « Pour les parties prenantes, c’est très difficile à vérifier. Quand une entreprise met en valeur un objectif ou un argument RSE, elle verdit son image. Il y a alors danger de greenwashing : surpromesse, formulation trompeuse, absence de preuve … Récemment, la DGCCRF a investigué les allégations environnementales : un quart se sont avérées trompeuses. », alerte Pauline Roulleau.

Cette enquête menée par la Répression des fraudes (DGCCRF), première sur le sujet, s’est intéressée aux allégations environnementales trompeuses et a traqué les mentions « respectueux de l’environnement », « zéro déchet », « éco-responsable ». Résultats : des mentions jugées « globalisantes », « non justifiées », « ambiguës », ou encore « contraires aux dispositions légales ». « Un argument écologique et durable peut aussi camoufler, volontairement ou non, des impacts négatifs. Le collectif Follow the money a par exemple récemment dénoncé les violations de droits humains chez les fournisseurs de Patagonia ».

ESG/RSE : quelle différence ?

A l’origine, le secteur financier parlait d’« ESG » quand l’entreprise parlait de « RSE ».  Aujourd’hui, l’entreprise s’approprie le terme « ESG » et « durabilité ».

  • Les critères ESG sont des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance – dits critères extra-financiers- qui permettent d’évaluer l’effort de durabilité d’une entreprise sur ces trois aspects. Ils font l’objet d’un reporting détaillé et intégré à la stratégie RSE de l’entreprise. Ils sont rassemblés dans un rapport ESG, ou extra-financier.
  • La RSE est une démarche plus globale et plus conceptuelle. Elle n’est pas mesurable de façon aussi précise que les critères ESG car elle englobe des valeurs, une culture d’entreprise, une raison d’être, des objectifs et des engagements… qu’il n’est pas toujours facile d’évaluer. C’est une démarche volontaire. La RSE permet de conjuguer performance économique, performance sociale et performance environnementale.

La lutte contre le greenwashing et les allégations environnementales trompeuses

« Les allégations environnementales sont d’abord encadrées juridiquement en tant que pratiques commerciales. On sait que le code de la consommation français prévoit jusqu’à 300 000 € d’amende et une peine de deux ans d’emprisonnement pour pratique commerciale trompeuse. C’est dissuasif ! On assiste, en plus, à un renforcement de l’encadrement spécifiques sur les allégations environnementales, avec la directive Green Claims au niveau Européen. En France, certaines allégations sont déjà interdites, comme « respectueux de l’environnement » et toutes mentions équivalentes, car elles portent à confusion et sont trop globalisantes pour le consommateur ».

Mais la vigilance reste de mise. « Au-delà des allégations sur les produits, il y a l’ensemble de la communication de l’entreprise. Comme tout le discours de l’entreprise ne peut être audité, certaines entreprises peuvent être tentées d’embellir leurs rapports de durabilité voire leurs déclarations aux agences de notations spécialisées. Rappelons-nous : Orpea était en tête des classements ESG, en 5e position sur 113 chez Sustainalytics. Le greenwashing a fait beaucoup de tort à la RSE. Mais il a aussi donné naissance à plus de vigilance : des consommateurs et des investisseurs avertis et plus attentifs à l’atteinte réelle des objectifs affichés, des comparateurs qui notent les produits en fonction de leur performance RSE … Et côté entreprises, j’assiste aujourd’hui à un retour de balancier. Beaucoup d’acteurs s’interdisent toute communication « durable » avant d’être exemplaires sur tous les sujets. J’incite ces entreprises à sortir de leur extrême prévenance. Communiquer sur une démarche en construction est positif et stimulant pour le collectif interne et pour la chaine de valeur : pourvu de le faire avec transparence et sincérité. » Les comportements des entreprises sont donc très variables.

Pour les faire évoluer, deux leviers : les attentes des consommateurs en matière de RSE et la loi. « Aujourd’hui, la majorité des Français[1] (58%) pensent que les entreprises engagées sont peu nombreuses, voire marginales. Cette confiance en demi-teinte dans l’engagement social et environnemental des entreprises en France fait forcément pression sur ces acteurs ».

[1] Enquête « Les Français et les entreprises engagées »,  Harris interactive pour mouvement Impact France, février 2022.

 

La CSRD, la directive qui révolutionne le reporting extra-financier

Et pour le caractère contraignant, seul un cadre réglementaire peut faire une vraie différence. Et c’est pour bientôt ! Pour contrer le flou autour des déclarations ESG des entreprises, l’Union européenne dégaine une nouvelle arme, la CSRD, pour Corporate Sustainability Reporting Directive. Cette nouvelle directive, qui rassemble des mesures ambitieuses, vise à améliorer les flux financiers en faveur des activités durables au sein de l’Union européenne.

Aujourd’hui, près de 11 000 grandes entreprises cotées en Europe sont tenues d’éditer un rapport extra-financier dans le cadre de la NFRD (Non Financial Reporting Directive). « Avec la CSRD, on passe à une tout autre échelle.  Plus de 50 000 entreprises devront publier un rapport de durabilité. C’est une véritable révolution. La CSRD harmonise les concepts et les définitions de la durabilité. Elle établit un langage commun et des normes sur les informations publiées : politiques, actions, indicateurs et objectifs. Elle demande à l’entreprise de considérer toute sa chaine de valeur. Et elle étend à toute l’Europe l’obligation d’audit des rapports de durabilité. » précise Pauline Roulleau.

Le champ de reporting RSE de la CSRD

  • Selon le principe de la double matérialité, les entreprises doivent rendre compte à la fois de l’impact de leurs activités sur l’environnement et les parties prenantes, et de l’impact des sujets ESG sur leur performance financière
  • Les sujets couverts par la CSRD sont :
    • environnement : climat, pollution, eau, biodiversité, économie circulaire
    • société : main d’œuvre de l’entreprise, travailleurs de la chaine de valeur, communautés affectées, consommateurs et utilisateurs
    • gouvernance : gestion des risques, anticorruption, éthique des affaires

En matière de RSE, des inégalités entre les petites et grandes entreprises

La CSRD est une excellente nouvelle pour le reporting de durabilité au niveau européen. Dans une logique d’hyper performance, elle réunit les meilleurs standards de durabilité au monde. Mais ces nouvelles contraintes risquent de peser lourd pour les petites entreprises, dont le discours et les actions RSE sont moins matures que ceux des grandes entreprises. 36% des PME déclarent ne pas avoir défini de stratégie en matière de RSE/ESG. Et 47% des TPE n’ont aucun projet RSE/ESG en vue[2].

« Les entreprises manquent de temps, de budget et d’équipe face à l’exigence du reporting de la CSRD. Et elles savent que les ressources allouées au reporting sont moins disponibles pour mettre en œuvre la transformation durable, de manière opérationnelle dans les métiers. C’est tout le paradoxe de la transparence. Il est essentiel de jauger son effort de reporting pour qu’il reste raisonnable. La RSE ne doit pas être une deuxième fiche de poste, elle doit s’intégrer au opérations ». Heureusement, les petites structures auront des normes adaptées et un peu plus de temps pour se préparer (1ère déclaration pour 2026). Le conseil de notre experte pour réussir la transition ? Dimensionner sa feuille de route RSE pour répondre à la CSRD de manière transparente et mesurée et surtout, pour transformer son entreprise aux enjeux d’aujourd’hui et de demain.

CSRD : qui est concerné et quand ?

  • 1er janvier 2024 > pour les entreprises déjà soumises à une obligation de reporting extra-financier dans le cadre de la NFRD (grandes entreprises cotées de plus de 500 salariés) ;
  • 1er janvier 2025 > pour les grandes entreprises non encore soumises à la NFRD; et qui remplissent au moins 2 des 3 critères suivants : 250 employés, 40 M€ de chiffre d’affaires, ou 20 M€ de bilan ;
  • 1er janvier 2026 > pour les PME cotées (10 à 250 employés), à l’exception des microentreprises. Les PME appliqueront des normes de reportingallégées et auront la possibilité de différer leurs obligations deux années supplémentaires.
  • 1er janvier 2028 > pour les filiales européennes de sociétés mères non européennes qui réalisent plus de 150m€ de chiffre d’affaires en Europe(les filiales non-cotées pourront en être exemptées si les sociétés mères fournissent déjà un rapport de durabilité conforme à la CSRD).

 

Pour en savoir plus :

Le reporting de durabilité CSRD : se préparer aux nouvelles obligations

[2] Enquête NooS, 2022,  Le baromètre de la RSE des TPE aux Grandes Entreprises.