Laurent Barbezieux

Bilan carbone,trajectoire carbone,décarbonation… dequoi parle-t-on ?

Bilan carbone, trajectoire carbone, décarbonation, compensation carbone, neutralité… Les terminologies faisant référence à une réduction des émissions de gaz à effet de serre d’une organisation se sont multipliées, venant brouiller les pistes. Alors de quoi parle-t-on exactement ? Et comment les entreprises peuvent-elles concrètement décarboner leur activité? Réponses avec Laurent Barbezieux, cofondateur d’Aktio, plateforme spécialisée dans la mesure et la réduction de l’empreinte carbone.

 La décarbonation d’un secteur, d’une activité, d’une entreprise, d’un individu, voire d’un État, consiste à réduire son empreinte carbone en diminuant les émissions de gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, méthane, protoxyde d’azote…) engendrées par ses activités. L’objectif affiché est clair : il s’agit de limiter son impact sur le climat et la planète. Comment les entreprises peuvent-elles concrètement y parvenir ? Avec quelle stratégie de décarbonation ? Comme n’importe quelle entité, il s’agit avant tout d’entamer sa transition énergétique en consommant moins et mieux.  Le levier le plus direct : réduire sa consommation d’énergie primaire, c’est-à-dire celle issue de combustibles fossiles (essence, gaz, fioul…), notamment à travers des mesures de sobriété ou le passage à des énergies renouvelables. D’autres mesures sont essentielles :  opter pour des équipements moins énergivores et plus performants, réduire la production de déchets, utiliser des modes de transports bas-carbone (ex: train, mobilité douce, transport en commun), comparer l’empreinte carbone des produits que l’on achète et opter pour les moins émissifs, etc. Une fois tous ces leviers de réductions engagés, il est ensuite possible de financer des projets de captage et stockage de carbone (ex : agroforesterie, plantations d’arbres, restauration de mangroves, etc.).

Bilan carbone : Qu’est-ce que c’est ? Et comment est-il calculé ?

La décarbonation est donc un processus. Et comme tout processus, elle nécessite la mise en place d’une suite d’actions et d’opérations pour parvenir à l’objectif attendu. « C’est ici que le Bilan Carbone entre en jeu”, explique Laurent Barbezieux, co-fondateur du cabinet Aktio, qui accompagne les entreprises dans leur trajectoire carbone. “Conçu par l’Ademe, la méthode Bilan Carbone permet d’évaluer précisément l’empreinte carbone d’une entité en réalisant l’inventaire de tous les gaz à effets de serre (GES) qu’elle émet, sur une période donnée, puis à définir un plan d’actions concret pour les réduire. Ainsi, une entreprise peut mesurer l’ensemble de ses émissions chaque année”.

Chaque poste d’émissions -directes ou indirectes-, est calculé en  “équivalent CO2” ce qui permet de comparer l’impact de différents gaz à effet de serre sur un horizon de 100 ans (dit “PRG” pour “potentiel de réchauffement global”).

Cette démarche de « comptabilité carbone » initiée dans les années 90 répond à un enjeu mondial majeur : celui de limiter le réchauffement climatique et les conséquences de ce dernier (perte de la biodiversité, montée des océans, événements climatiques extrêmes…). Tout comme les 195 signataires de l’Accord de Paris et les pays de l’Union Européenne signataires du Pacte vert pour l’Europe, les entreprises ont un rôle déterminant à jouer pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5 degrés et atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, comme le prévoit la loi européenne sur le climat.

Les 3 scopes du bilan carbone

  • les émissions directes, c’est-à-dire ce qui est rejeté directement dans l’atmosphère par un équipement, un outil, un site, une installation : essence, gaz, fioul, charbon… (scope 1)
  • les émissions indirectes liées à l’énergie consommée par une entreprise, c’est -à-dire toutes celles qui sont rejetées indirectement lors de la production d’électricité ou de chaleur utilisée par un équipement appartenant ou exploité par l’entité (scope 2)
  • toutes les autres émissions rejetées indirectement dans l’atmosphère, lors de la fabrication des équipement achetés et utilisés par l’entité : un ordinateur, un véhicule, un produit ou un service (scope 3)

Stratégie de décarbonation et bilan carbone, à la portée de tous

« Pour les entreprises, réaliser un inventaire des émissions carbone peut sembler compliqué, témoigne Laurent Barbezieux. Mais c’est une mécanique bien rodée. Un cadre international et une politique climatique ont été définis pour développer des standards de calcul et un mode de reporting communs, en vue d’établir un inventaire vrai et juste des émissions de GES. C’est le GHG protocol, pour greenhouse gas protocol. On travaille à partir des factures d’énergie, des bordereaux de suivi des déchets, du nombre d’ordinateurs au sein de la flotte informatique et de leur durée de vie, ou des véhicules dans la flotte automobile, ainsi que des données comptables.

C’est donc à la portée de n’importe quelle entreprise, même s’il est vrai que les grosses structures sont souvent plus matures au regard des moyens et des ressources qu’elles sont en mesure d’attribuer à la réalisation du bilan carbone ».

Une fois l’inventaire réalisé, on peut passer à la deuxième phase du bilan carbone qui consiste à établir une liste d’actions concrètes pour réduire les GES émis. « Pour réussir cette étape, il faut à la fois être ambitieux et penser global à long terme, et être pragmatique et réaliste à court terme. Passage de la flotte automobile à l’électrique, instauration d’un dispositif de covoiturage, isolation bureaux et des sites, remplacement des équipements les plus énergivores par des équipements à haute performance énergétique (comme les chaudières, les systèmes de climatisation, etc.), chaque structure doit avancer en fonction de ses capacités au service de cet objectif commun ».

Entreprises et industrie décarbonnées : quels sont les ingrédients de la réussite ?

Mais attention, s’engager sur des objectifs trop ambitieux sans mettre en place une gouvernance et dédiés des ressources humaines et financières est voué à l’échec. Il faut rester réaliste et inscrire dans sa feuille de route des actions quantifiables, mesurables, concrètes. « L’implication et la posture de l’équipe de direction sont centrales dans le processus : c’est elle qui fixe les priorités, donne les moyens d’agir, mais surtout veille à ne pas déprioriser les engagements en cas d’aléas extérieurs. Une direction déterminée et engagée rend la démarche crédible auprès de toute l’entreprise. Évidemment, sans transparence et sans communication, la démarche est vaine ».

Pour soutenir cette dynamique, les équipes doivent être mobilisées de façon concrète. Et là, l’enjeu n’est plus de sensibiliser les équipes (les fresques du climat sont utiles pour une prise de conscience, mais ne donnent pas toutes les clés pour agir)… mais de les former. « Comment mesurer les indicateurs ? Comment se mettre en conformité avec les nouvelles législations ? Comment fixer le coût du carbone en interne ? Quelles actions mettre en place pour contribuer à une chaîne de valeur plus résiliente ? Les collaborateurs doivent avoir les moyens et les ressources d’agir pour contribuer efficacement au plan d’action qui aura été défini ».

Transition énergétique et décarbonation, ça bouge dans tous les secteurs, mais il faut accélérer !

La stratégie nationale bas-carbone évolue dans le bon sens. Des objectifs sectoriels contraignants se précisent et permettent à certains domaines d’activités d’accélérer leur décarbonation. « Ca bouge du côté de la construction avec les réglementations RE2020 et Décret tertiaire en France. Je pense aussi au secteur du transport qui déploie des ressources importantes pour électrifier les véhicules légers et développer des biocarburants. Sans oublier l’électrification du fret ou le train à hydrogène (Alstom développe des projets dans ces domaines).

La décarbonation de l’industrie n’est pas en reste – plus particulièrement au sein des grands groupes, dont les ressources sont plus importantes. Saint-Gobain ou Schneider Electric avancent vite et ont défini leur trajectoire carbone. Mais de manière générale, les acteurs économiques, comme les acteurs individuels d’ailleurs, ont encore beaucoup de difficultés à se projeter dans un horizon de temps à plusieurs décennies pour opérer un changement structurel. Nous avons toujours tendance à sous-estimer l’impact de nos activités. Aujourd’hui, ce qu’il nous faut, c’est une vraie bascule des comportements. Il nous faut voir plus loin. Et si on s’y met tous, cela va marcher ».

Des alliances sectorielles, par exemple, ont déjà permis à des projets ambitieux de stratégie de décarbonation de se concrétiser. « Il y’a l’exemple réussi de collaboration entre Yuka, Marmiton et La Fourche. Leur projet? Créer un « écoscore » qui aide les consommateurs à faire leur choix. Chaque produit présente ainsi un note qui prend en compte l’empreinte carbone et eau, ainsi que l’impact sur la biodiversité. D’autres acteurs, encore, intègrent la réduction des émissions et la circularité au cœur de leur raison d’être. C’est par exemple le cas de Vestiaire Collective, acteur du e-commerce dont le modèle repose sur l’achat et la vente d’articles de seconde main.

« Tout cela va dans le bon sens et est soutenu par des législations contraignantes qui vont obliger, enfin, les entreprises à être transparentes sur les émissions (lire notre article sur la RSE et la future CSRD). Mais le plus urgent est de mettre le niveau d’effort nécessaire pour atteindre l’objectif de neutralité carbone. Exactement comme l’ont fait les Etats-Unis dans les années 60 pour se poser sur la Lune en moins de 10 ans, conclut Laurent. Des moyens colossaux pour un objectif colossal ! »

La trajectoire carbone est un scénario établi par l’entreprise pour préciser comment elle prévoit de réduire concrètement ses émissions de gaz à effet de serre directes ou indirectes. C’est une projection sur le long terme de l’évolution de son bilan carbone.

La neutralité carbone est l’équilibre entre le carbone émis et le carbone absorbé (séquestré) par des puits de carbone, tels que les sols, les océans et les forêts.

La “compensation carbone” (ou “séquestration carbone”) est le mécanisme par lequel des gaz à effet de serre présents dans l’atmosphère sont captés et stockés de manière pérenne, par exemple dans des milieux naturels (forêts, champs, prairies…).

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  • Pour en savoir plus :

– comment réduire l’empreinte d’un site industriel ?

– comment réduire les consommations de chauffage de mon entreprise ?

– sur la réglementation : introductionCSRDwebinaire